La naissance d’un service de protection moderne
En 1960, Jean Lesage est élu premier ministre du Québec. Voulant faire entrer « la belle province » dans la modernité, celui qui fut le père de la révolution tranquille entreprit une série de réformes qui allaient bouleverser l’appareil gouvernemental. On assiste alors à la création d’une fonction publique plus efficace et plus démocratique. Pour les gardes du Département de la chasse et de la pêche, ces grands changements sont synonymes de trois mots : réorganisation, indépendance et formation.
Dans un premier temps, les multiples réorganisations administratives de l’appareil gouvernemental conduisent à l’abolition du Département de la chasse et de la pêche et à la création en 1962 du Service de la protection de la faune. Dès 1963, ce service ainsi que le Service de la faune, créé en 1961, seront regroupés avec le ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche.
En plus de la réorganisation de la structure du Service, on assiste en mai 1961 à l’abolition de la fameuse et contestée part d’amende. Cette mesure, jumelée avec la disparition du patronage intensif et l’obtention des premières permanences, confère aux gardes l’indépendance et l’impartialité nécessaires à l’application des lois en matière de protection de la faune. Leur travail n’est donc plus soumis aux exigences et aux caprices du député du coin et ils bénéficient maintenant d’un salaire annuel garanti.
Enfin, une école d’entraînement et de formation à l’usage du Service de la protection ouvre ses portes sur la rue Turnbull à Québec. Tous les nouveaux gardes engagés y reçoivent une formation d’une durée de quatre semaines. Ceux qui sont déjà en poste y obtiennent aussi des cours d’appoint et de recyclage. Notions de biologie, cours sur les subtilités de la réglementation, méthodes de travail : autant de nouvelles connaissances qui enrichissent maintenant le savoir-faire des représentants du Service de la protection.
La petite bible des officiers
Dans l’esprit des nombreuses réformes amorcées depuis 1960 dans toute la fonction publique québécoise, le ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche publie en 1965 un manuel d’instruction à l’attention des officiers supérieurs, des gardes-chasse et des gardes-pêche du Service de la protection. Ce document, en fixant les devoirs et les obligations de tous les employés du Service, vient ainsi uniformiser tous les aspects relevant de la fonction du garde (régie interne, responsabilités, discipline, insigne, uniforme, etc.).
Manuel d’instruction à l’attention des Officiers Supérieurs
et des Gardes-Chasse et Gardes-Pêche
1965
(extraits)
Courtoisie
L’officier garde-chasse et garde-pêche ne doit jamais employer un langage grossier, arrogant ni abusif, que ce soit à l’endroit de ses supérieurs, de ses compagnons de travail ou du public. Exception faite pour ses compagnons de travail, il évitera aussi de les tutoyer. Il est tenu de se comporter suivant les règles de la civilité, de la politesse et de la respectabilité. Les longues discussions ne sont pas de mise. Il se doit d’agir avec fermeté tout en restant calme, patient et digne.
Discrétion
Pour se conformer à cette règle, l’officier garde-chasse et garde-pêche a tout d’abord le devoir de respecter son serment d’office. Il doit en tout temps et en toutes circonstances, faire preuve de la plus grande discrétion. L’administration générale du Service, ses supérieurs, ses compagnons et son travail, ne doivent jamais être un sujet de discussion avec le public. Il s’abstiendra de communiquer ou de divulguer tout renseignement de nature confidentielle ou autre, se rapportant à l’administration interne et générale. Il en est ainsi pour ce qui concerne les instructions et les ordres émanant de l’autorité.
Application au travail
L’officier garde-chasse et garde-pêche se doit de ne jamais négliger son travail. Il lui faut étudier et se renseigner sur tous les sujets susceptibles de l’aider à accomplir ses devoirs et ce en coopération avec les autres membres du Service. Dans les cas de contravention aux lois qu’il doit faire respecter, il agira avec promptitude et déférence. Il doit transmettre sans délai à son supérieur toute information qu’il considère apte à faciliter ou à accélérer la marche d’une cause. Il doit toujours rapporter les faits tels qu’il les connaît. À ce sujet, il se doit de dire la vérité et ne jamais faire de déclarations inexactes.
Application des lois
L’officier garde-chasse et garde-pêche a le devoir de faire respecter les lois concernant la chasse et la pêche, et de les appliquer quand nécessaire. Donc, il ne peut se permettre d’intervenir pour tenter d’en empêcher l'application, ni pour essayer de diminuer la gravité de l’offense. Il ne peut se soustraire à ses responsabilités et tous ceux qui sont pris en défaut doivent être traités suivant les dispositions de la loi. Le favoritisme, l’amitié ou la parenté ne doivent jamais entrer en ligne de compte.
Serment d’office
Par cet acte solennel, l’officier garde-chasse et garde-pêche s’engage formellement à remplir ses devoirs fidèlement et de son mieux, ainsi qu’à la discrétion sur tout ce qui concerne son travail. En conséquence, du fait que tous les membres du Corps des Gardes-Chasse et Gardes-Pêche ont prêté un tel serment, il importe maintenant de ne pas s’y dérober.
« Je, soussigné, __________________, autorisé par le Ministre pour
le territoire ci-haut décrit, jure que je remplirai fidèlement et au meilleur
de ma connaissance les devoirs de ma charge, conformément aux lois
et règlements de chasse et de pêche en vigueur dans cette province,
et que je ne révélerai et ne ferai connaître, sans y être dûment autorisé,
quoi que ce soit dont j’aurai connaissance dans l’exercice de mon emploi.
Ainsi Dieu me soit en aide. »
Dette
L’officier garde-chasse et garde-pêche doit éviter, dans la mesure du possible, de faire des dettes. Si, pour des raisons particulières et personnelles, il ne peut agir autrement, il est tenu de faire honneur à ses obligations.
Maintien
En toutes circonstances, le maintien de l’officier garde-chasse et garde-pêche doit être tout aussi modeste qu’impeccable. En tout temps, sa posture doit démontrer un savoir vivre et sa contenance doit inspirer le respect. La propreté de sa personne et des ses vêtements, ainsi que sa manière de parler, doivent être une préoccupation constante chez lui.
La vie quotidienne du garde-chasse et du garde-pêche
Au début des années ’60, le salaire d’un garde est de 1 500 $/année. Pour l’utilisation de sa voiture personnelle, il se voit allouer 0,06 $ par mille de route parcouru en été et 0,09 $ en hiver. On lui donne aussi 700 $ annuellement afin qu’il se prévale des assurances nécessaires pour son véhicule. Chaque garde travaille à partir de sa résidence personnelle. Ce dernier n’a pas d’horaire fixe et ajuste son temps de travail en fonction des temps forts de l’année (ouverture de la pêche, périodes de chasse, etc.). Il se déplace aussi d’un secteur à l’autre pour porter assistance à d’autres gardes-chasse afin de couvrir des zones plus achalandées ou tout simplement plus giboyeuses. Pendant cette période, cette façon de faire était adéquate et efficace vu le peu de ressources dont disposaient les gardes.
Puisque le garde ne peut pas être partout à la fois, notamment à cause de la grande superficie de son secteur de travail, le réseau d’informateurs devient un outil essentiel dans sa lutte contre le braconnage. Dignes de confiance, honnêtes et surtout discrets, certains agriculteurs, travailleurs forestiers ou simples villageois sont, pour ainsi dire, les ancêtres des assistants à la protection de la faune qu’on retrouve aujourd’hui. Toujours à l’affût du moindre événement suspect concernant la chasse et la pêche dans leur milieu de vie, ils sont les yeux et les oreilles du garde. Puisqu’il règne encore à cette époque une certaine méfiance envers le garde et une indifférence palpable envers les activités de braconnage, les informateurs jouaient donc un rôle de premier plan dans la lutte au braconnage.
Le déclin du cerf de Virginie
Un des événements majeurs des années ’60 est certes le déclin du cerf de Virginie. Alors que la chasse de ce gibier commence à jouir d’une très grande popularité dès 1960, une récolte sans précédent de 16 185 bêtes s’effectue en 1962. Mais dès 1965, la récolte diminue jusqu’à atteindre en 1974 quelques 1 141 cerfs. Ce n’est qu’à la fin des années ’70 que les causes de ce déclin sont élucidées. La surexploitation du cheptel par la chasse sportive est alors pointée du doigt par les nombreux biologistes qui se penchent sur la question.
Profitant de saisons de chasse qui se prolongent tard en automne, les chasseurs bénéficient jusqu’en 1967 de conditions excellentes. La chasse rendue trop efficace, conjuguée au même moment à une augmentation importante de chasseurs, conduit à des récoltes records entre 1962 et 1965. Saisons de chasse trop longues, grande quantité de chasseurs, averses de neige précoces aidant ces derniers à suivre leur gibier : toutes les conditions sont alors réunies pour permettre une exploitation abusive de la ressource. Et comme si cela n’était pas assez, la prédation et le braconnage viennent accélérer le déclin dans certains secteurs.
Malgré la mise en place de saisons de chasse plus courtes et moins tardives dès 1968, aucune augmentation significative de la population n’est observée au début des années ’70. Les hivers anormalement rigoureux qui règnent alors à cette période annulent les effets positifs de ces mesures. Seule l’instauration de la « loi du mâle » (abattage des mâles seulement) en 1974 viendra lentement renverser la cadence.
Bien avant l’ajustement des saisons de chasse, une autre mesure est élaborée afin de favoriser l’augmentation du cerf. Alors que le monde de la chasse rage à cause de la soudaine rareté des cerfs, plusieurs chroniqueurs et journalistes rapportent que les loups en sont directement responsables. Illustrant leurs propos à grand renfort d’images de carcasses de cerfs dévorés et de loups vagabondant dans les ravages, ils mobilisent l’opinion populaire et pressent le gouvernement d’agir. Ainsi, à l’hiver 1966, une équipe spéciale de répression du loup composée d’une dizaine de personnes est mise sur pied par le Service de la faune. La plupart des gardes-chasse du Service de la protection sont également mis à contribution pour l’exécution de cette tâche.
En plus du contrôle des prédateurs, beaucoup d’efforts sont investis dans la lutte au braconnage du cerf. Entre 1965 et 1967, les 78 agents de conservation du district de Montréal émettent 283 infractions en relation avec le braconnage du cerf de Virginie, ce qui représente pour cette période 25 % de toutes les infractions données au Québec concernant ce gibier. On assiste aussi aux premières opérations d’envergure visant le démantèlement de réseaux de chasse et de vente illégales de cerfs. Par exemple, une vingtaine d’agents participent en 1965 à une opération dans les Laurentides. Celle-ci s’étendra sur trois jours et conduira à la mise en accusation de 21 braconniers. Des opérations similaires seront élaborées l’année suivante dans diverses régions du sud du Québec et donneront elles aussi d’excellents résultats.