Il n’y a pas si longtemps au Québec, la protection de la faune se résumait presque exclusivement à deux choses : gérer les populations fauniques faisant l’objet d’une exploitation et enrayer le braconnage. Mais devant la destruction et l’altération de nombreux milieux de vie essentiels à la faune, le gouvernement s’est vu dans l’obligation d’agir. Ce changement dans l’orientation de la protection fut très important puisque la disparition d’habitats fauniques résultant de certaines activités humaines s’avérait à l’époque, et encore aujourd’hui d’ailleurs, l’une des plus grandes menaces à la survie de la faune.
C’est donc en 1993 que les agents de protection se voient confier l’application du Règlement sur les habitats fauniques découlant de la Loi québécoise sur la conservation et la mise en valeur de la faune. Ce nouvel outil législatif, combiné à certaines dispositions de la Loi fédérale sur les pêches que les agents appliquaient déjà, leur confère alors tous les pouvoirs nécessaires pour protéger certains milieux de vie fauniques situés autant sur les terres du domaine public que privé.
C’est surtout la protection des milieux aquatiques qui retient majoritairement l’attention des agents. En fait, tous les milieux susceptibles de contenir du poisson, qu’ils soient situés en territoire public ou privé, jouissent d’une protection au sens de la loi. Pour y entreprendre des travaux, il est donc nécessaire de posséder les certificats d’autorisation requis. Mais, dans une certaines régions qui connaissent un fort développement socio-économique, tous ne respectent pas cette réglementation fondamentale.
Pour que les travaux réalisés illégalement fassent l’objet de poursuites, il n’est pas nécessaire que le milieu aquatique endommagé contienne des espèces sportives comme le saumon, le touladi ou l’omble de fontaine. La définition du mot « poisson » au sens de la loi est très large : elle englobe les mollusques, les crustacés, toutes les espèces de poissons et même les œufs de ces derniers. Il suffit alors que les agents prouvent qu’on retrouve dans le milieu en question du poisson ou que celui-ci serve à sa reproduction pour que des accusations soient portées. À titre d’exemple, un individu qui entreprend des travaux dans une plaine inondable risque de se voir accuser en vertu de la législation sur les habitats fauniques. Parce que ce type de milieu est essentiel à la reproduction de certaines espèces aquatiques comme le brochet et la perchaude, il jouit donc lui aussi d’une protection.
Afin de démontrer la présence de poissons et de déterminer dans quelles proportions les travaux exécutés sont néfastes pour la faune, les agents font généralement appel à leurs confrères biologistes. Ce sont ces derniers qui déterminent aussi les travaux de restauration ou de compensation qui devront être réalisés au frais de l’accusé. Dans certains cas, les biologistes peuvent même suggérer l’aménagement de frayères en guise de travaux compensatoires.
Les agents demeurent toutefois confiants que le nombre d’accusations portées en vertu de la législation sur les habitats fauniques va diminuer d’ici quelques années. Mais d’ici à ce que tout le monde se conforme à la législation en vigueur, les agents demeurent vigilants et comptent sur la précieuse collaboration du public pour rapporter tout événement pouvant porter préjudice à la faune.
La protection du milieu de vie se veut une action globale visant la conservation tant des habitats fauniques que des organismes qui s’y trouvent. Mais pour quelques espèces qui sont surexploitées, vulnérables ou menacées d’extinction, la protection doit souvent s’accomplir par le biais d’actions précises et localisées.
De l’application de règlements particuliers en passant par l’exécution d’une surveillance intensive, les agents de protection de la faune sont de plus en plus sollicités pour veiller à la conservation de certaines de ces espèces. Deux de celles-ci retiennent notamment leur attention : l’ail des bois et l’esturgeon jaune.
Seule espèce vulnérable bénéficiant d’un statut juridique, l’ail des bois est protégé au Québec depuis 1995. Par les années passées, cette plante de croissance lente a fait l’objet d’un commerce important qui a mis en péril ses chances de survie. Ainsi, pour la protéger d’une éventuelle extinction, une limite de cueillette de 50 bulbes par personne par année fut instaurée. L’amende pour un surplus de limite a été fixée à 500$. Mais cette mesure ne dissuade malheureusement pas tous les cueilleurs qui la recherchent. Certains d’entre eux, motivés par l’existence d’un lucratif marché noir ou tout simplement par une gourmandise exacerbée, semblent loin d’être préoccupés par la vulnérabilité de cette plante. Fragile, l’ail des bois? Oui, et tellement que la seule cueillette de trois plants sur dix peut conduire une population de grosseur moyenne au seuil de l’extinction à l’intérieur d’une période de 25 ans.
Pour contrer la menace d’une extinction potentielle, les agents de la protection de la faune procèdent depuis quelques années à la surveillance d’érablières supportant des populations connues d’ail des bois. Et cette protection donne de bons résultats : seulement pour les printemps 2000 et 2001, les agents de Lanaudière et des Laurentides ont émis 75 infractions et ont saisi un total de 45 000 bulbes. Et l’effort de conservation ne s’arrête pas là. Un peu plus de la moitié des bulbes saisis seront remis à des bénévoles qui les replanteront en milieu naturel. Quant aux bulbes non viables, ils seront remis à des organismes de charité.
L’esturgeon jaune est aussi une espèce vulnérable faisant l’objet d’une attention particulière de la part des agents du Service de la protection de la faune. Très recherché pour sa chair ainsi que pour ses œufs servant à la conception du caviar, ce poisson fait l’objet d’une pêche commerciale notamment au niveau du tronçon fluvial du fleuve Saint-Laurent. Même s’il supporte une telle exploitation, l’esturgeon jaune doit faire l’objet d’une étroite protection. En effet, sachant qu’un mâle met environ 16 ans à atteindre sa maturité sexuelle alors qu’une femelle en prend en moyenne 25, une pression de braconnage ou une surexploitation par la pêche pourrait mettre facilement en péril ces précieuses populations.
L’instauration de nouveaux outils réglementaires visant à mieux contrôler la pêche commerciale et l’augmentation des efforts de surveillance ont permis de réaliser des progrès dans la protection de cette espèce. Par exemple, avec la mise sur pied d’un système de scellés visant le contrôle et le suivi des captures issues de la pêche commerciale, il est maintenant plus difficile pour un braconnier d’écouler sur le marché ses esturgeons pris illégalement. Les agents exercent de plus une surveillance accrue des frayères au printemps et procèdent à des opérations de grattage durant l’été afin de repérer tout filet illégal. De telles mesures, conjuguées à la collaboration des pêcheurs commerciaux et à la sensibilisation du public, sont à même de contribuer à la survie de cette espèce.
Le plus grand défi des agents du Service de la protection de la faune est certes l’enrayement du braconnage. Facile, la lutte anti-braconnage? Non, et elle est beaucoup plus complexe qu’on pourrait le croire.
Malgré les nombreuses vérifications réalisées par les agents durant leurs patrouilles,malgré la précieuse collaboration de certains informateurs et l’implantation de la ligne S.O.S. Braconnage, il est encore difficile de déceler les activités de braconnage qui, c’est bien connu, surviennent en forêt ou en milieu peu fréquenté et se déroulent par conséquent à l’abri des regards indiscrets. Même quand certaines personnes sont témoins de ce type d’activité illégale, rien ne garantit que les agents en seront avisés.
Pourquoi? Les raisons peuvent être nombreuses : crainte de représailles parce qu’un membre de la famille ou un voisin peut être impliqué, indifférence, etc. Mais, fort heureusement, il y a encore certaines personnes, de l’informateur au simple citoyen, qui collaborent étroitement avec les agents en leur rapportant tout indice ou acte de braconnage. C’est souvent grâce à ces informations, qui peuvent parfois paraître anodines, que des enquêtes peuvent progresser et mener à l’arrestation de contrevenants.
En parallèle à la difficulté pour les agents de savoir ce qui se passe à l’ombre de nos forêts, les activités de braconnage semblent pour leur part toujours aussi présentes au Québec. D’ailleurs on assiste depuis quelques années déjà à un raffinement de ce type d’activité illégale. Les braconniers d’aujourd’hui disposent d’équipement qui leur facilitent malheureusement la tâche : appareils de vision de nuit, systèmes de télécommunication, véhicules tout-terrain, etc. Et c’est sans oublier que certains sont organisés en véritables réseaux et sont même, parfois, diversifiés dans leurs activités. En effet, une recherche effectuée récemment révélait qu’au Canada, 60% des braconniers appréhendés par les autorités étaient impliqués dans des activités criminelles telles que la possession d’armes illégales, le trafic de drogues, le vol. Les agents eux-mêmes s’en aperçoivent lors de vérifications ou de perquisitions réalisées dans le cadre de certaines enquêtes alors qu’ils découvrent de la drogue ou des objets volés.
Toutefois, malgré la présence de réseaux très bien organisés, c’est encore le braconnage intermédiaire qui fait le plus dommage à la faune. Les braconniers ne sont bien sûr pas tous organisés en réseaux ou impliqués dans des activités criminelles. Il y a aussi certains pêcheurs et chasseurs sportifs qui sont peu enclins à respecter les règlements fauniques. Dépassement de la limite de captures permises, possession de poissons de grosseur non-réglementaire, pêche et chasse en temps interdit, utilisation d’engin prohibé, non enregistrement du gibier abattu : autant de comportements qui ont un impact certain tant sur la faune que sur sa gestion. Ces types d’infraction, plus subtils parce que pris encore à la légère par un trop grand nombre d’utilisateurs de la faune, sont tout aussi dommageables à long terme que n’importe quel réseau organisé.
Pas évidente, la lutte anti-braconnage? Certes, mais loin d’être impossible! Depuis 1995, les agents émettent en moyenne chaque année entre 7000 et 8000 infractions concernant majoritairement des actes de braconnage. Ces infractions sont relevées lors de vérification de pêcheurs et de chasseurs, de patrouille, d’opération de surveillance et de traitement de plaintes provenant du public. Tout comme les braconniers qui se sont raffinés dans leurs activités de prélèvements illégaux, les agents font eux aussi face à la musique. De l’utilisation de maîtres-chiens en passant par l’installation de systèmes de surveillance, ils ont les outils nécessaires pour mener des enquêtes qui s’avèrent par ailleurs de plus en plus complexes. Le Service de la protection de la faune dispose aussi d’un laboratoire bio-légal et fait souvent appel à la collaboration du Laboratoire de sciences judiciaires du ministère de la Sécurité publique du Québec afin de procéder aux expertises scientifiques essentielles à l’analyse de certains indices.